Dissociation du bâti et du foncier : comprendre la loi Lagleize

Publié le 21 juin 2023

La proposition de loi Lagleize fait de plus en plus de bruit. Puisqu'elle a été adoptée en première lecture par l'Assemblée Nationale depuis 4 ans déjà, on attend sa mise en application. Ce qui l'a portée sur le devant de la scène immobilière ? Un compte TikTok qui extrapolait son champ d'application : il s'agirait de la fin irrévocable de la pleine propriété.

Alors vision simpliste ou crainte bien fondée ?

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En quoi consiste la Loi Lagleize ?

En fait, Jean-Luc lagleize reprend un dispositif initié par la loi Alur et mis en application par la loi Elan mais qui ne s'adressait que aux ménages modestes.


Regardons comment le bail réel solidaire (BRS) est monté :
Un ménage modeste sous conditions de plafonnement de ressources peut acquérir un bâti en résidence principale (les mêmes conditions de ressources que pour habiter dans un Pinel) ➡️ Le dispositif n'est pas valable dans toutes les régions mais il l'est sur la Côte d'Azur ➡️ Le terrain appartient à un OFS (Organisme de Foncier Solidaire qui a acheté le terrain et a fait construire ou rénover) ➡️ L'acquéreur verse une redevance révisable chaque année à l'OFS ➡️ le bail est valable de 18 à 99 ans et peut être reconduit.

En cas de revente du bien, si aucun acquéreur ne se présente, l'OFS garantit son rachat mais à un prix encadré, puisque la typologie d'acquéreurs reste la même : des foyers modestes. D'ailleurs, il n'est pas possible d'opérer une grosse plus-value en propre.

D'autres avantages accompagnent le BRS comme :

  • Le PTZ
  • Une exonération partielle de la taxe foncière (oui, partielle seulement....)

Donc le député Lagleize s'est basé sur ce dispositif qu'il souhaite étendre à l'ensemble des ménages et à l'ensemble du territoire, sans condition de ressources et donc pas uniquement dans les zones tendues (dont Nice fait partie).

L'objectif est de réduire le coût de l'accession à la propriété de 20 à 40% en séparant le prix du terrain du prix des murs.

👉 Voici comment le projet Lagleize est monté, et vous allez voir qu'il est très similaire au BRS :

Un ménage acquiert le bâti de son logement au prix du marché mais dissocié du foncier, pour en faire sa résidence principale➡️ Le terrain appartient à un OFL (Organisme de Foncier Libre)➡️ L'acquéreur verse une redevance annuelle (on parle de 2€/m²) ➡️ Le bail est conclu pour une durée de 18 à 99 ans et peut être reconduit.

La différence majeure est que le propriétaire pourrait louer son bien et toucher des revenus locatifs. Ce pourrait donc être un outil d'investissement (n'oublions pas qu'il manque des logements partout, surtout à la location, et qu'en ce moment le marché de l'investissement locatif est très ralenti). Ce loyer perçu ne serait pas encadré.

❎ Rien n'empêche l'achat en VEFA.

La revente et la transmission en Lagleize

La loi de l'offre et de la demande s'appliquera, donc la spéculation sur le bâti sera la même que d'habitude à priori . On pourra réaliser une plus-value.

Par contre la transmission en cas de décès serait soumise à conditions, et ça, on ne sait pas du tout ce qu'il en est. Personne à notre connaissance ne traite encore de ce point pourtant essentiel.


Et la taxe foncière ?

Le texte ne dit pas si le locataire, enfin plutôt le propriétaire, devra s'acquitter d'une taxe foncière, en plus de la redevance.

Par contre il se dit que l'OFL pourrait en être partiellement exonérée.

En fait, on ne connait pas encore toutes les modalités.

Risques, travers et raccourcis de la loi Lagleize

Quelques projections nous permettent d'envisager des situations de crise.

➡️ Les français n'ont pas vraiment l'habitude du leashold à l'anglaise. Ils sont même plutôt attachés à la propriété pleine et entière liée à l'histoire de France du droit de propriété.

➡️ Cette loi se veut anti spéculative et fonctionne uniquement si les OFL jouent le jeu sur le prix des terrains qu'ils pourraient se racheter entre eux. La nature humaine étant ce qu'elle est, et surtout dans les affaires, il faudra très certainement encadrer les OFL avec d'autres lois.

➡️ SI on ne régule pas le montant de la redevance, un loyer se rajoute au crédit et fait perdre tout l'intérêt de l'acquisition. Là encore, l'OFL devra être réglementée.

➡️ Les acquéreurs auraient-ils encore le droit d'exploiter le sous-sol, comme par exemple dans les terrains des alentours de Nice où l'on peut jouir de son puit d'eau sans payer de redevance à quiconque ?

➡️ L'OFL assumera t-il ses responsabilités quant aux risques liés au terrain ?

➡️ Quid de l'expropriation en cas d'impayés, alors même que la loi Lagleize comporte un volet pour sécuriser les locataires, et renforcer leur protection contre les expulsions injustifiées (ce que nous avons beaucoup de mal à comprendre aux vues de l'extrême protection des locataires et du droit au logement).

➡️ Quid de la décote du bien vers la fin du bail ?

➡️ Est-ce que la concentration des terres auprès de quelques OFL ne reviendrait pas à une forme de Kolkhoze ou à une appropriation de type seigneuriale ?

Beaucoup, beaucoup de questions non éclairées à ce stade. 🧐 Mais Jean-Luc Lagleize est un ancien gestionnaire de patrimoine, quelqu'un qui connaît le terrain.

Il semble que cette loi n'ait pas de fondements pernicieux comme pouvait le prétendre le compte TikTok.

Il pourrait même avoir des effets positifs sur la fluidité des ventes et du marché immobilier y compris locatif.


Ce que la loi Lagleize n'est pas

La dissociation du terrain et du bâti n'est pas un démembrement comme la nue-propriété et l'usufruit.

Ce que la loi Lagleize vise

Le projet de loi a une portée écologique et sociale. En permettant aux organismes publics et libres d'acquérir des terrains, cela ouvre la voie vers le réemploi des friches industrielles pour la construction de nouveaux logements.

On colle avec les objectifs de la ZAN contre l'artificialisation des sols. On colle avec le besoin d'augmenter le parc de logements privés et sociaux.

À l'étranger, les modèles existants

Nos voisins britanniques pratiquent le leasehold (location du terrain) et le freehold (pleine propriété).

Étant donné les prix à Londres, certains investisseurs s'estiment très heureux de pouvoir être en leasehold et gagner de l'argent malgré tout.

Mais les terres appartiennent toutes à des consortiums ou des grandes familles (notre crainte serait donc avérée) et il est compliqué d'obtenir un crédit lorsque le bail est ancien, sans tirer le prix vers le bas (nos craintes sont avérées aussi.)

Les Etats-Unis ont dissocié le bâti et le foncier dès 1970 avec le Community Land Trust. Le prix de la revente est encadré pour permettre de traverser les crises du logement, nombreuses aux US.

Au Canada on pratique également le leasehold. À la différence qu'au Canada, on attend plus du détenteur du terrain : on attend des équipements. Donc le loyer vient avec des contreparties pour le collectif : salle de sport, espaces de loisirs ...

Loi Lagleize : demain en France ?

Oui, c'est sûr. Il y aura bientôt plusieurs niveaux de propriétés. Cela peut soit fluidifier, soit complexifier le marché immobilier. On ne jugera qu'avec le temps.

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