Changement de destination du local commercial des dark stores : vers une jurisprudence ?

Les fâcheuses conséquences pour le bailleur et le locataire

Publié le 23 janvier 2024

Vrai ou faux ? Depuis mars 2023 les dark-stores ont été officiellement classifiés dans la catégorie des entrepôts et non plus des commerces. Le bail de nature commerciale devrait donc être retoqué pour devenir un bail à usage d'entrepôt. Et bien c'est exact. En étant qualifié d'entrepôts, l'activité ne peut se maintenir avec un bail commercial. La requalification souhaitée par de nombreux maires de grandes villes, dont Christian Estrosi pour la ville de Nice, joue pas sur la nature du bail et sur la destination du local.

Et cela n'est pas du tout anodin.

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Changement de destination du local des dark-stores : une décision juridique

C'est à l'initiative des maires des grandes villes françaises comme Paris ou Nice que le gouvernement a dû se pencher sur le cas des dark-stores. Les riverains se plaignent des nuisances sonores engendrées par le démarrage des cyclomoteurs de livraison. Ils se plaignent aussi du manque d'animation commerciale des boutiques qui ne présentent aucune marchandise à vendre et aucune vitrine accueillante. Cela contribue au sentiment de petite mort des commerces du centre-ville.

Christian Estrosi, et d'autres maires, n'y trouvent pas leur intérêt et ont utilisé l'arsenal législatif.

D'après eux, un dark-store n'est pas un commerçant. Il n'y a pas de réception de clients, et pas de paiement sur place. C'est juste un lieu de stockage et de logistique du dernier km.

La définition du dark-store est d'ailleurs :

Les dark-stores sont des lieux de stockage de produits, de marchandises ou de nourriture utiles dans le dernier kilomètre de la livraison. Ainsi, les habitants peuvent être livrés en moins de 10 mn à domicile par des livreurs généralement à vélo.


💡Le point de vue d'Éric Martin début 2023 :

"Comme nous gérons un dark store à Nice, nous nous sommes opposés à cette définition en arguant que le locataire du local est bien un commerçant, dans le sens où son activité relève du commerce (achat/vente).

À l'époque, nous avons repris la définition d'un commerce et avons conclu qu'Il suffirait que le locataire ouvre un point de collecte ou de retrait de colis pour que la nature de commerce lui soit acquise."

Or, tout a été bousculé en juillet 2023.

Le législateur modifie les textes en juillet 2023 : nouvelle classification par destination

Notre affaire relève du code de l'urbanisme. Car un changement de destination se fait auprès :

  • Du propriétaire du local commercial.
  • Du syndic de copropriété ou le conseil syndical des copropriétaires.
  • De la mairie, au service de l'urbanisme.

Si Christian Estrosi ne souhaite pas implanter ce type de commerce dans le cœur de Nice, il n'a donc qu'un seul levier d'action : le service de l'urbanisme.

➡️ Ce qui change tout au 1er juillet 2023, c'est que les articles R.127-27 et 28 du code de l'urbanisme ont été retoqués pour créer une nouvelle sous-destination à l'adresse des dark-kitchens, les éjectant du statut de commerce.

Le lien avec les dark stores se situe dans la notion de passage de clientèle, qui a d'abord été débattue au sujet des dark kitchens.

Cette notion est primordiale dans les débats, car l'hybridation du commerce physique avec le e-commerce est un nouvel enjeu qui devrait être pris en compte pour répondre aux besoins des nouveaux commerçants du secteur.

Le gouvernement en a profité pour redéfinir ce qu'est un commerce, précisant bien qu'un point de collecte ne donnait pas accès à ce statut.

On décrète alors que la relation avec le client se passe en ligne et non pas dans le local.

Quant aux dark stores, ils intègrent la destination "autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire" qui inclue les entrepôts.

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📅 Avant l'application des articles au 1er juillet 2023, voici comment les constructions étaient classifiées :

  • Pour la destination " commerce et activités de service " : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s'effectue l'accueil d'une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques ; […]
  • Pour la destination " autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire " : industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d'exposition »


📅Après le 1er juillet 2023, voici comment cela se présente :

  • « Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire : : industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d'exposition, cuisine dédiée à la vente en ligne »

    Du coup, on vient aussi préciser ce qui relève dorénavant de la sous-destination "entrepôt":
  • « Constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de la livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique (…) ».

Donc exit le point de collecte. Reste encore à définir ce qu'est une surface de vente.

Et bien la réponse se trouve dans l'article L. 110-1 du code du commerce :

"Espaces couverts ou non couverts affectés à la circulation de la clientèle, [d’] espaces affectés à l’exposition des marchandises proposées à la vente et à leur paiement ainsi [que d’]espaces affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente".

Donc, s'il n'y a pas de circulation de la clientèle (au sens de point de collecte et de paiement sur place), et s'il n'y a pas présentation de marchandises en rayon, on n'est pas un commerce.
.

Triste conséquence pour les dark stores dont ce n'est effectivement pas du tout l'objet, dans les faits.
Ainsi, après les manipulations idoines, la définition du dark-store répond dorénavant bien à la définition d'un entrepôt.

Changement de destination en entrepôt : quelles conséquences pour l'activité dark store

Gestion Cassini est actuellement en pleine tractations pour convenir de ce qui doit être fait, dans l'intérêt du propriétaire bailleur, concernant son local actuellement loué à un dark store. Il faut comprendre que les implications de ces nouvelles mesures n'ont pas encore fait jurisprudence et que nous avançons en terre totalement inconnue.

Il nous paraît toutefois important de pouvoir partager nos connaissances sur le sujet, pour que vous, chers lecteurs, puissiez en tirer les conclusions qui vous agréent.

L'histoire du dark store loué chez Gestion Cassini

L'implantation du local se situe sur une artère très connue de Nice. Les voisins, par la voie de leur syndic, tentent de faire interdire cette activité.

Au moment de la prise à bail, évidemment, rien ne laissait présager de ces événements. Les habitants du quartier ont l'habitude des nuisances sonores car les supermarchés et les commerces de proximité livrent à l'aube, les troubles à l'ordre public sont nombreux et le trafic piéton est de toute façon très important toute l'année.

Malgré tout, une démarche a été intentée par un syndic de copropriété dès que le conseil municipal a eu fait valider le nouveau code de l'Urbanisme.

Il fallait donc suivre la loi et réaliser un changement de destination.

La démarche administrative se fait donc, via le service de l'urbanisme, par le biais d'une demande préalable de changement de destination (une DP).

Les conséquences de la DP sur le local commercial

Dès que l'on dépose une DP, quelle qu'en soit le motif, c'est le PLU qui s'applique.

Or, le Plan local d'urbanisme peut prévoir des règles différentes selon les sous-destinations, de sorte que certains changements de sous-destinations peuvent être contraires aux règles d’urbanisme et ne devraient donc pas être mis en œuvre.

➡️ Initialement, notre locataire a signé un bail dans la catégorie "commerce et activités de services".

Aujourd'hui, son activité appartient aux "activités des secteurs secondaire et tertiaire".

La question est de comprendre ce que cela implique à la fois pour le locataire et le propriétaire bailleur.

Le premier obstacle que nous pourrions rencontrer, est que, dans certaines villes, le PLU interdit les entrepôts en rez-de-chaussée des immeubles.

Ce problème, dans notre cas, est écarté.

Mais tout n'est pas réglé.

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Changement de destination en entrepôt : et après ?

Si le bailleur accepte de changer la destination du local, il fera face à deux contraintes majeures :

  • Se conformer aux obligations relatives à la qualification d'entrepôt.
  • En cas de changement de locataire, il faudra refaire une DP pour repasser en commerce, une fois que le locataire aura cessé son activité.

Et c'est bien ce point qui est actuellement notre zone d'ombre.

En effet, une fois le local changé en entrepôt, alors que la zone se prête fortement au commerce, quelles sont les chances qu'un repreneur ait besoin de s'installer dans un entrepôt ?
Elles sont quasi nulles. Le local perd toute attractivité.
Il faudrait donc refaire une DP pour demander à nouveau un changement de destination en commerce.

Les normes en vigueur pour redevenir un commerce

Le code de l'urbanisme métropolitain a évolué. Il faudra alors se mettre en conformité avec les nouvelles modalités. Qui sont :

  • Toute demande de changement de destination impliquera un avis du service métropolitain de la voirie et un contrôle des accès pour l’activité déclarée, à savoir un commerce. En vertu de l’article 3.1 du règlement de la zone (quartier urbain dense) relatif à la desserte par les voies publiques ou privées. La mairie pourrait donc refuser la demande au motif qu'il n'y a pas de place de stationnement pour les livraisons.
  • Les normes PMR sont en vigueur, pour tous les établissements accueillant du public de 5e catégorie, même si des dérogations sont prévues. Il faudra donc veiller à permettre l'accessibilité aux personnes en fauteuil.

Enfin dernier point, mais qui finalement ne nous concerne pas, car il est valable en cas de construction d'un nouveau commerce :

  • L’article 15 des dispositions générales du Plan local d'urbanisme métropolitain relatif aux places de stationnement auquel renvoie expressément l’article 2.5 du règlement de la zone UBb impose une place de stationnement pour 80m² de surface de plancher pour tout commerce dont la surface de plancher est comprise entre 300 et 1 000m².
    Voilà pourquoi nous ne conseillons pas à notre propriétaire bailleur de déposer une DP.

Point de friction : L'obligation de délivrance dans le bail commercial

Selon l'article 1719 du code civil le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de :

  • Délivrer au preneur la chose louée (valable également pour un logement).
  • D'entretenir la chose louée.
  • D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

La délivrance de la chose louée inclue la «délivrance juridique», autrement dit un local en conformité avec la destination contractuelle.

Le bail commercial ayant accordé l'exploitation du local pour l'activité de dark store, bien entendu parce que à l'époque, nous y étions autorisés, le locataire ne peut plus jouir de son bien dans les conditions fixées.

Si nous ne trouvons pas de solution, il ne lui restera qu'à demander la résiliation du bail, ce qui peut avoir des implications négatives pour notre propriétaire.

Gestion Cassini ouvre la voie vers une jurisprudence ?

Nous devons aller vers une concertation et mener une réflexion avec les pouvoirs publics, adjoints et délégués chargés de ces dossiers, afin que le déploiement de ces nouveaux arrêtés, pris en cours de bail, ne portent pas préjudice au bailleur ni au locataire.

Nous ne portons pas de jugement sur la réalité des habitants du quartier. Mais il est certain qu'on ne peut pas laisser les parties prenantes sans solution car aucunes d'elles n'a agi en dehors du cadre de la loi.

Pourtant, actuellement, la situation est totalement bloquée.

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